in memoriam Fausto Romitelli

Fausto Romitelli est mort ce dimanche matin, 27 juin, après un long combat contre un méchant cancer qui le tourmentait depuis bien longtemps. Il avait quarante et un ans. Les médecins lui avaient proposé un va-tout : une greffe de moëlle où il risquait son immunité, mais qui lui laissait la chance d’une guérison complète. Il n’avait pas hésité : il n’était pas homme à chipoter.

Le découragement s’était parfois frayé son chemin à travers les souffrances, sans jamais atteindre son être de musicien. Quelques jours avant sa mort, le chorégraphe Wim Vandekeybus enfilait tablier, masque et gants pour le visiter dans sa chambre d’hôpital, à Milan, et jeter avec lui les bases d’un nouvel ouvrage que lui commandait l’Opéra de Lille. C’est une scène qu’on m’a racontée, qu’il me plaît d’imaginer, qu’il aurait eu le goût et le talent de décrire, et que nous devrons garder de lui : Fausto parlant de musique, comme toujours en toute impatience, à travers le voile des lunettes noires et d’un complexe réseau de machines à respirer.

Il avait eu le temps d’écrire une vingtaine d’oeuvres, vingt oeuvres fortes et personnelles qui n’ont pas fini de nous marquer de leur empreinte. Ami de Michaël Levinas, admirateur de Grisey et Dufourt (qu’il reconnaissait pour son maître), il avait trouvé dans le spectralisme le terrain idéal où pouvaient rivaliser sans se nuire son exquise oreille harmonique et son esthétique d’usure et de destruction. Il ne cédait ni sur l'un ni sur l'autre, car en artiste vrai il n’obéissait qu’à un seul impératif : dire le monde sans s’y soumettre. Ce qui explique qu’il n’avait que peu de temps à consacrer à ce qui ne nourrissait pas sa quête; tout compositeur qui renonçait aux splendeurs de l’harmonie ou à la lucidité de la corruption était invariablement taxé par lui “d’académiiique” — et il faut faire grincer les trois ‘i’ dans la poitrine pour faire à nouveau sonner sa voix, pour se laisser accompagner un moment encore par son amitié de bluffeur. Mais oui, bluffeur, crâneur, peu complaisant : un vrai coeur d’or.

Face à la mort qui insiste, comme nous sommes de grands benêts! Comme nous n’apprenons rien! En contemplant son increvable désir, je m’étais persuadé qu’il ne pouvait pas partir. Que son corps suivrait. Mais son corps se défaisait tout seul et en silence, comme les détritus furieux et sublimes passés à l’essoreuse dans le final de “Index of Metals”, le vidéo-opéra qui fut sa dernière oeuvre. Comme Gérard Grisey, et comme au moins un autre avant lui, il avait écrit son propre Requiem avant de franchir le seuil. C’était ‘Index’, cérémonie d’adieu à la matière qui proliférait follement en lui, et qui semblait pourtant se soumettre à sa plume à coups d’impossibles tempos lents.

Je pense à la femme qu’il aimait, Luisa; à ses amis Paolo Pachini et Yan Maresz; à son alter ego Riccardo Nova. Leur chagrin sera à la hauteur de ce qu’ils attendaient encore de lui. Et nous aussi, comme nous l’avions attendu, ce si libre compositeur! Ainsi que me l’écrit à l’instant Eric Denut — d’une expression qu’on croirait sortie d’un de ces romans américains où se démènent des hommes contradictoires, emportés, amoureux, et qui meurent trop jeunes : “c’était un vrai”.

Jean-Luc Plouvier , 29 juin 2004 
   
   
   
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