Avec Michaël Levinas à l'Opéra de Lille et Flagey
Le 2 décembre à l'Opéra de Lille, le 3 à Flagey (studio 1) : le quatuor à cordes d'Ictus joue le "Second" de Michaël Levinas, sous la forme d'un One-Only-One : première interprétation, entretien avec le compositeur, et on remet le couvert. Une seule oeuvre, mais la possibilité pour le public d'y entrer sensiblement (par la seconde écoute) autant que conceptuellement (par les commentaires du compositeur, éventuellement illustrés d'exemples par les interprètes). Première étape d'une collaboration avec Levinas, qui aboutira à la création de son quatrième opéra,_La Métamorphose _d'après Kafka, en mars 2011 à l'Opéra de Lille.
Né en 1949, Michaël Levinas est à la fois un grand pianiste classique (on connait son intégrale des Sonates de Beethoven, ou ses récentes Mélodies de Fauré avec Magali Léger), un truculent professeur (au Conservatoire de Paris) et l'un des plus francs-tireurs parmi les compositeurs français d'aujourd'hui. Il participa en 1973 à la fondation du célèbre ensemble l'Itinéraire, à Paris, à la fois groupe de compositeurs et d'interprètes, qui lança l'expérience du "spectralisme". Il s'agissait de renoncer à la combinatoire sérielle au profit d'une nouvelle esthétique, moins sèche, où le recours aux technologies autorisât un luxuriant renouveau harmonique. Au centre de ce projet (où l'on brandissait volontiers les figures pionnières de Scelsi, Ligeti, Debussy, Sibelius) se déployait l'idée d'un art du "son en mouvement" et la valorisation de ses transitions, torsions et métamorphoses : la musique comme énergie.
Cette énergie, Michaël Lévinas semble toujours l'avoir considérée comme une force de profération. Energie invocatoire, incantatoire : c'est là sa singularité. En témoigne parfaitement le titre d'une de ses oeuvres devenue "classique", pour trompette solo et ensemble : Appels. Exploration du son, oui, mais pas sans la médiation du geste, de la parole, d'une adresse. La musique de Levinas suggère toujours une puissante dramaturgie. On comprend donc l'importance de l'opéra dans son oeuvre : déjà trois grandes oeuvres scéniques à son catalogue (La Conférence des oiseaux, d'après un conte persan; Go-gol, d’après Le Manteau _de Gogol ; _Les Nègres, adaptée en 2003 de la pièce du même nom de Jean Genet), et une quatrième en préparation sur une commande de l'Opéra de Lille, avec l'ensemble Ictus : _La Métamorphose _d'après Kafka, avec un acte préalable de Valère Novarina.
En alternance avec ses oeuvres-phares, Levinas délivre régulièrement ce qu'on pourrait appeler des oeuvres-études : de la composition comme résolution d'un problème. A cette question : comment rendre compatible un art de sculpter des sons complexes (art fusionnel et statique), et une écriture plus mobile, rythmique et polyphonique, Levinas répond par une figure qui l'obsède : la spirale infinie. Rêve d'une musique paradoxale, affectée d'une torsion interne, d'un spin, et qui ne cesse d'échapper à l'oreille qui veut s'en emparer. Levinas décline cette figure, tantôt à la manière virtuose d'un Ligeti, en utilisant la grande vitesse, un rythme motorique, une surabondance d'échelles modales progressivement altérées, des trompe-l'oreille basés sur les octaves brisées (qu'on écoute l'ouverture de son opéra Les Nègres); tantôt en revenant aux couleurs "pseudo-électroniques" du jeune spectralisme, comme dans le Quatuor N°2 que nous vous présentons ce soir : oeuvre presque conceptuelle où un accord-timbre, réalisé par l'alliance des quatre instruments à cordes, semble glisser dans un abysse sans fond.
Quatuor Ictus :
George van Dam et Igor Semenoff : violons
Aurélie Entringer : alto
Geert De Bièvre : violoncelle