Le mois d'avril sera consacré aux répétitions et aux premières du Wagner Dream, le nouvel opéra de Jonathan Harvey mis en scène par Pierre Audi. | Harvey rêve de Wagner rêvant du Bouddha. Venise, 1880 : Richard Wagner a 70 ans. Une attaque le frappe; il meurt. Tout l'opéra de Jonathan Harvey explore au ralenti les quelques minutes de cette mort : une scène du songe s'ouvre et, dans l'éclair de la mort, dans cet instant où le temps disparaît, _écrit le librettiste Jean-Claude Carrière, l'oeuvre ultime de Wagner, qu'il portait en lui, lui est donnée comme en un battement de paupière. Cette oeuvre ultime, un opéra bouddhiste dont Wagner avait eu l'intuition à la lecture de Schopenhauer et qu'il comptait titrer "Le Vainqueur", conte l'histoire de Prakriti, la jeune femme aimée par le moine Ananda, cousin du Bouddha. "Tandis que l'opéra se déroule, Wagner, qui est le seul à le voir (Cosima, Carrie Pringle et la femme de ménage - et éventuellement le médecin - ne peuvent qu'assister à ses réactions sans comprendre ce qui les provoque) se relève, retrouve par moments des forces, intervient, interroge, arrête même, une fois, le déroulement de l'histoire. (...) Il meurt après avoir connu ce que personne avant lui ne connaissait: le temps immobile, la vanité de toute gloire, l'illusion de toute identité et même de toute réalité, l'évidence que tous les êtres n'en font qu'un, que notre vie tout entière peut se décider au dernier instant, en une fraction de seconde." _
Les rôles de Wagner, de Cosima, du docteur, tous les rôles de la "vie réelle" sont pris en charge par des acteurs; tandis que le déploiement de l'opéra rêvé, et les dialogues philosophiques qui en sont la trame, sont l'affaire de la musique et du chant, anamorphosés et mis en espace par l'électronique de l'IRCAM. De multiples niveaux de musique s'interpénètrent, se croisent et se chassent comme en rêve : à la manière de "Wheel of Emptiness", un tournoiement de courts événements sonores, rêches et sifflants, évoquent la brutalité du réel et des passions ; mais un lied de Schubert passe en sourdine, l'accord de Tristan enflamme le tissu harmonique; une flûte basse et une sitar synthétique font entrer la musique hindoue, des tempêtes électroniques se lèvent pour saluer l'entrée du Bouddha, des choeurs multipliés par l'ordinateur murmurent du Palestrina.