- Yan Maresz
Michèle Tosi, Res Musica, 26 mars 2007
Maresz, Mantovani, Cendo
Les concerts programmés à l’Espace de projection de l’IRCAM, ce lieu confiné au deuxième sous-sol du bâtiment, offrent toujours une écoute optimale pour les œuvres mixtes engageant au même titre la responsabilité des musiciens et des techniciens du son. Avec la collaboration de Sébastien Roux aux commandes du dispositif électronique, c’est l’ensemble belge Ictus dirigé par Georges-Elie Octors qui nous invitait ce mercredi 21 mars à la découverte de ces nouveaux continents sonores.
Lorsque tout fonctionne et que la technique vient assister les prouesses de l’instrumentiste, le résultat sonore tient toujours de l’inouï. Dans Scratch Data, Raphaël Cendo - un compositeur d’une trentaine d’années, stagiaire en 2006 du Cursus annuel d’informatique musicale à l’IRCAM - engage une lutte à bras le corps entre le percussionniste et la machine qui, au départ, décuple la force des impacts puis contrarie le geste instrumental pour miner le système rythmique et le faire patiner de manière spectaculaire.
C’est l’univers des cordes - pincées, frappées et frottées - qui est sollicité dans Sul Segno, une œuvre de Yann Maresz, musicien issu du Jazz qui se distinguera, lors du Cursus IRCAM 96, par sa pièce Métallics pour trompette et électronique, une œuvre de référence inscrite désormais au répertoire de l’Institut. En dépit d’aléas techniques qui ont obligé les interprètes à repartir de zéro, l’outil électronique aspirant le son à sa source, vient ici transformer l’univers instrumental en une forge industrieuse dont la spatialisation détaille la complexité foisonnante.
L’ensembe belge Ictus, au complet cette fois, donnait en création mondiale l’œuvre très attendue de Bruno Mantovani, Eclair de Lune, qui marquait le retour du compositeur à l’électronique après sept ans de distance prise avec le travail en studio.
En préambule, le percussionniste Miquel Bernat interprétait Le grand jeu, une pièce pour percussions et support audio réalisée à l’IRCAM lors du Cursus de 1999, Mantovani avait alors vingt cinq ans. Jouée à mains nues sur un dispositif privilégiant les peaux des toms et congas, la partie instrumentale vient se fondre à la source électroacoustique, confrontant son énergie tribale à la sophistication des sons de synthèse dans une jungle sonore luxuriante irriguée par les pulsions vivifiantes du jazz et des musiques populaires que Mantovani sollicite tout particulièrement à cette époque.
Sept ans plus tard avec Eclairs de lune, il inverse la donne, choisissant un effectif instrumental très fourni – bois, cuivres, piano et cordes – cerné par trois caisses claires dont les roulements vont effectuer « le passage » entre les figures instrumentales et la partie électronique suivant un effet de continuum générant l’ambiguïté dans la perception des sources sonores. L’œuvre se déploie dans l’espace par agrandissements successifs selon une conduite bien cernée ; de la séquence éruptive du piano au relais musclé de l’ensemble instrumental assisté par l’électronique, la sonorité acquiert une puissance et un impact émotionnel rarement atteints chez le compositeur. Superbe également cette stase finale où les sons du piano refermant la trajectoire semblent aspirés par un courant ascendant… « J’aime, dit Boulez, que la musique donne l’impression d’être à la fois très logique et très mystérieuse… ». Des superlatifs qui collent étonnamment à la création mantovanienne.