Marta subjugue l'Opéra de Lille
Sur un texte noir mais empreint d’humour de Gerhild Steinbuch, Wolfgang Mitterer signe une œuvre maîtresse.
(Lille
De notre envoyé spécial)
L’Opéra de Lille a eu, une fois de plus, la main heureuse dans le choix de ses équipes de création. Réussite du livret d’abord. L’Autrichienne Gerhild Steinbuch y associe sous l’aspect d’un conte réaliste, sciencefiction, poésie, tragicomédie, renvoyant autant à l’histoire qu’au secret des âmes.
Réussite musicale ensuite, avec une partition à la fois novatrice et respectueuse du style lyrique : Wolfgang Mitterer (né en 1958) crée des sons inouïs tout en offrant aux chanteurs de vrais airs d’opéra. Réussite scénique enfin, grâce à la mise en scène au cordeau de Ludovic Lagarde, dans une élégante scénographie d’Antoine Vasseur où une brillante distribution se meut avec naturel.
L’action se situe dans un monde sans avenir et un pays indéterminé. Un capitaine-dictateur entend fonder un ordre nouveau d’où les enfants sont bannis. Ginevra, épouse du roi falot Arthur, a pu cacher sa fille Marta qu’elle a eue avec Grot, dit « l’outsider », pour lui éviter le destin des autres enfants. Enfermée dans une vitrine, tel un exemple de ce que pouvait être l’enfance, Marta grandit et se révolte. À la fin, tout le monde meurt, « comme dans Hamlet », explique le compositeur, d’où peut-être le choix de la langue anglaise…
Cette intrigue noire au développement cinématographique est remarquablement mise en musique. L’ensemble de 12 instrumentistes avec guitare électrique et électronique utilisées avec tact exalte des couleurs foisonnantes.
L’inspiration de Wolfgang Mitterer est puissante, très personnelle. Intégrant le jazz et la pop avec raffinement, le compositeur et organiste autrichien déroule une écriture virtuose qui suscite une vélocité ahurissante dans la fosse et une finesse mélodique, rare dans l’opéra contemporain. Le chant, soliste et choral, y est omniprésent, la conduite vocale aisée pour les chanteurs, soutenus par une amplification discrète.
Elsa Benoît est une Marta spontanée et touchante, Ursula Hesse von den Steinen une reine de noble stature et Georg Nigl donne de sa voix cuivrée une force saillante au personnage de Grot. À leur côté, Tom Randle incarne un capitaine vindicatif et Martin Mairinger un roi veule. Les Cris de Paris et l’ensemble Ictus excellent dans leur précision et leur homogénéité exemplaires, dirigés avec élan par Clément Power.
Bruno Serrou