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Marta, le nouvel enfant prodige de Mitterer, à l'Opéra de Lille
15/03/2016, DIAPASON
Par Benoît Fauchet
Après Massacre, que Strasbourg a découvert en 2008 dans une mise en scène — déjà — de Ludovic Lagarde, confirmation de la réussite singulièrement innovante de Wolfgang Mitterer (né en 1958) à l'opéra. Commande lilloise, l'ouvrage est là encore hanté par le spectre, sinon l'odeur, du meurtre de masse. Nous ne sommes pourtant pas chez la reine Margot au temps de la Saint-Barthélemy, mais sur la terre de légende du roi Arthur et de sa femme Guenièvre vivotant, somnolant en leur palais dans un « monde d'après » sans enfants ni joie, imaginé par la jeune auteure autrichienne Gerhild Steinbuch.
Unique rescapé mineur de ce massacre des innocents : Marta, d'abord exposée comme une poupée inanimée dans un noir parallélépipède qui tourne en rond comme la vaine (sur)vie des protagonistes, avant de chercher le chemin de sa liberté, voire de son pouvoir, au milieu de ceux qui y ont renoncé. Entre de hauts murs de métal qui laissent filtrer une lumière parfois brûlante ou rouge sang, la régie ordonne un enfermement et une errance aseptisés et abstraits, trop peut-être — mais après tout la chair n'est pas de ce monde.
Peu importe puisque le meilleur du spectacle tient dans la main, la plume, l'inspiration et les machines de Mitterer, qui engage l'intégration électronique / instruments / voix et la spatialisation du son à l'échelle de la salle dans une dynamique exceptionnelle. Ce travail ne se contente pas d'une petite informatique musicale donnant un écho vague et chic à sa partition, il l'habite et la transfigure. Les rifs de guitare, les embardées rythmées et pulsées, les gouttes d'eau, et bien d'autres transformations de matériaux volontiers impurs, flirtant avec les genres les plus pop, sont une signature. Mitterer ne délaisse pas son effectif instrumental, ici l'ensemble bruxellois Ictus d'un Jean-Luc Plouvier s'activant au piano tout en synchronisant les « départs » des motifs électroniques — onze musiciens poussés aux limites de leur virtuosité sans trahir leur effort, sous la direction musicale du Britannique Clement Power, trentenaire déjà très aguerri dans le champ contemporain.
Le choeur — un double quatuor, en fait — des Cris de Paris excelle dans les lignes vocales généreuses et très sonnantes, consonantes même parfois, tissées par le compositeur. Mitterer ne craint pas d'affronter les contraintes de l'opéra et de tailler la matière de son chant soliste dans un lyrisme assumé, avec des emplois aux profils bien dessinés : mezzo marâtre de Guenièvre (Ursula Hesse von den Steinen, dans sa belle maturité), Arthur d'une insoutenable légèreté (Martin Mairinger, qui falsettise admirablement)... On aime le fier Captain de Tom Randle, et plus encore le vibratile et troublant Grot de Georg Nigl, infatigable champion du bel aujourd'hui. La plus belle découverte pour la fin : la Marta du soprano léger, concentré et très mordant à la fois d'Elsa Benoit, jeune Française méconnue dans son pays alors que Munich vient de l'enrôler dans sa troupe permanente.
Dommage que le livret, écrit en allemand, ait été adapté en anglais dès sa première confrontation à la scène, pour une raison qui nous empêche de goûter les mots de la dramaturge et nous échappe. Peut-être est-ce pour faciliter tournées et reprises ? C'est tout le mal que l'on souhaite à cette saisissante création lyrique.
Marta de Mitterer. Lille, Opéra, le 13 mars. Autres représentations jusqu'au 21 mars. Reprise à l'Opéra de Reims le 19 avril.