La danse en spirale d'Anne Teresa De Keersmaeker
Rosita Boisseau, Le Monde, 30.04.2014
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La conspiration magique de la musique et de la danse atteint un niveau rare d'équilibre. Un paysage crépusculaire se forme où chacun tourne sur lui en même temps qu'il circule en boucle sur le plateau. Jusqu'au piano, poussé par le chef Georges-Elie Octors, qui tournoie lentement pendant que le musicien continue à en jouer debout.
Avec Vortex Temporum, Anne Teresa De Keersmaeker, pourtant experte en la matière, signe un épatant « concert de danse ». La cohabitation de tous les interprètes, leur connivence fine dans l'action, atteint une évidence physique, rythmique et émotionnelle. Les stridences soudaines des vents et les souffles épuisés des cordes, les énervements percutants du piano, semblent cribler les corps qu'ils retournent d'un coup sec ou font déflagrer en tremblements. Et sons et gestes de cavaler les uns après les autres sans jamais se marcher sur les pieds.
Cette composition sert au mieux les danseurs masculins. Alors que la danse d'Anne Teresa De Keersmaeker s'est d'abord taillée à même sa peau de fille toujours sur les nerfs, elle a su parfois livrer aux hommes des capsules de gestes prêtes à exploser. C'est le cas ici. Torches vives, acrobates sous tension, ils injectent dans le mouvement quelque chose de viscéral et de presque dangereux qui fait du bien au spectacle et colle à la violence irrésistible du vortex.