Youtube teaser
Tom Pauwels: electric guitar
Eva Reiter: viola da gamba
Music by Marin Marais (1656-1728)
and Burkhard Stangl (°1960)
Today, we are thirsty for a creative, lively and critical conversation with the arts of the past. It sometimes seems to us that Graindelavoix, Irini, Jordi Savall, Zefiro Torna, when they re-read the works of pre-modern times, are doing exactly the same work as we are!
On tired days, the history of music offers itself to us as a theater stage, nothing more than an imaginary space in which sequences are inscribed that are now closed; we retain nothing more than soundscapes ("pre-modern, artisanal, naive, immaculate and homogeneous signifiers of a lost paradise", as Björn Schmelzer writes). But Time can also be seen in its dynamic gush, like a perpetual morning. If Marin Marais’ works remain audible today, if they are still our contemporaries, it is probably because they contained within himself forces that were not limited to the present, but were powerfully tending (perhaps unwittingly) towards future listeners. These forces continue to challenge us.
Who knows if Marin Marais wasn't talking to Burkhard Stangl (Austria, °1960), after all?... And when Stangl "anamorphoses" Marin Marais, it would be a gross understatement to say that he is simply "prolonging" him: it is more a case of time suddenly spiralling out of control, as you listen to their conversation. In the same way that Michel Thévoz argued that Hans Holbein was "inspired" by Picasso and Andy Wharol, we are not far from affirming that Marin Marais was a "plagiarist by anticipation" of Burkhard Stangl!
In this programme, we perform a number of works by Marais (1656-1728) on viola da gamba and electric guitar. Marin Marais was an artistic personality characteristic of his time, who, as a court composer, was always inspired by the taste of his time, le bon goût. After Lully's death, the "musical war" between Italian and French taste inflamed public opinion. The dispute centred on whether the over-representation of affects in Italian music - in Alessandro Stradella, for example, or Alessandro Scarlatti and Arcangelo Corelli - could be transposed to French usage. Important composers such as François Couperin and Marc-Antoine Charpentier experimented with mixing styles. But traditionalists - and Marais was undoubtedly one of them - vehemently rejected this extended harmony, the chromaticism and the coloratura of the Italian style. In 1686, Marais made his debut as a court composer. His opera 'Idylle dramatique' was performed at Versailles and was such a success that the Dauphin asked for it to be replayed. Unfortunately, the score has been lost.
Three and a half centuries later, Burkhard Stangl - one of the most brilliant guitarists, composers and improvisers in the field of experimental and electronic music - has created a subtle commentary on the music of Marin Marais with his version of an Idylle dramatique. The material hasn't changed much, but it's the quality of musical time itself that has: time spinning in on itself, in a very contemporary blend of stasis and sensory hyper-stimulation; one idea chases the other without warning; musical phrases go round in circles or are arranged side by side, deprived of their logical connectors. Everything is recognisable, but at every moment we are taken out of our element.
Treating a contemporary work as a commentary on history is a rather banal gesture. But when the past in turn comments on the contemporary, everything becomes devilishly interesting. It seems that time is cracking, that it is ceasing to be the intractable executioner that horrified Baudelaire, and that it is finally offering us interstices in which to slip through - and reinvent ourselves.
n dit programma brengen de musici werk van de Franse componist Marin Marais (1656-1728), gespeeld op viola da gamba en elektrische gitaar. Marais debuteerde als hofcomponist in 1686. Zijn opera Idylle dramatique werd in Versailles met zo'n groot succes uitgevoerd dat de kroonprins om een herhaling vroeg. Helaas is de muziek verloren gegaan.
Burkhard Stangl (°1960), zelf een van de meest originele gitaristen, componisten en improvisatoren op het gebied van experimentele en elektronische muziek, levert nu, 340 jaar later, een subtiele commentaar op de muziek van Marin Marais. De hypothese: als Marais het instrument had gekend, zou hij allicht enthousiast geweest zijn over de klankmogelijkheden van een elektrische gitaar. Het verleden wordt zo op een natuurlijk manier ingebed in muziek van vandaag, waardoor er contact ontstaat in de kieren van de geschiedenis en het uiteindelijk niet meer duidelijk is wat - of wie - er eerst was...
En zo stond de tijd even stil…
Nous avons soif aujourd’hui d’une conversation créative, vivante et critique avec les arts du passé. Il nous semble parfois que Graindelavoix, Irini, Jordi Savall, Zefiro Torna, lorsqu’ils relisent les œuvres d’avant la modernité, font exactement le même travail que nous !
L’histoire de la musique, les jours de grande fatigue, s’offre à nous comme une scène, un espace imaginaire où se sont inscrites des séquences aujourd’hui clôturées ; nous n’en conservons rien de plus que des soundscapes, des images sonores (« signifiants pré-modernes, artisanaux, naïfs, immaculés et homogènes d'un paradis perdu », comme l’écrit Björn Schmelzer). Mais le temps peut également se donner dans son jaillissement dynamique, son éternel matin. Si Marin Marais reste aujourd’hui audible, s’il est toujours notre contemporain, c’est sans doute qu’il contenait en germe des forces qui ne se limitaient pas au présent, mais étaient puissamment tendues (à son insu peut-être) vers des auditeurs à venir. Ces forces continuent de nous défier.
Qui sait si Marin Marais ne s’adressait pas à Burkhard Stangl (Austria, °1960), après tout ?... Et lorsque celui-ci « anamorphose » Marin Marais, il serait réducteur de dire qu’il en donne un simple « prolongement » : c’est plutôt que le temps, lorsqu’on écoute leur conversation, s’enroule soudain en spirale. De la même manière que Michel Thévoz a pu soutenir que Hans Holbein s’était « inspiré » de Picasso et Andy Wharol, nous ne sommes pas loin d’affirmer que Marin Marais était « plagiaire par anticipation » de Burkhard Stangl !
Dans ce programme, nous interprétons quelques œuvres de Marais (1656-1728) à la viole de gambe et à la guitare électrique. Marin Marais était une personnalité artistique caractéristique de son époque, qui, en tant que compositeur de cour, s’était toujours inspiré du goût de son époque, le bon goût. Après la mort de Lully, la « guerre de la musique » entre goût italien et goût français enflamme l'opinion publique. La querelle porte essentiellement sur la question de savoir si la sur-représentation des affects dans la musique italienne — chez Alessandro Stradella par exemple, ou Alessandro Scarlatti et Arcangelo Corelli — pouvait être transposée dans l’usage français. D'importants compositeurs comme François Couperin ou Marc-Antoine Charpentier expérimentèrent le mélange des styles. Mais les traditionalistes — et Marais en faisait incontestablement partie — rejetaient avec véhémence cette harmonie élargie, le chromatisme et les colorature du style italien. En 1686, Marais faisait ses débuts comme compositeur de cour. Son opéra Idylle dramatique fut représenté à Versailles et connut un succès tel que le Dauphin demanda qu’on le bisse. La partition en a malheureusement été perdue.
Trois siècles et demi plus tard, Burkhard Stangl — l'un des plus brillants guitaristes, compositeurs et improvisateurs dans le champ de la musique expérimentale et électronique — crée avec sa version de l’Idylle dramatique un commentaire subtil de la musique de Marin Marais. Le matériel n’a pas beaucoup bougé, mais c’est la qualité du temps musical lui-même qui a changé : un temps tournant sur lui-même, dans un mélange très contemporain de statisme et d’hyper-stimulation sensorielle ; une idée chasse l’autre sans prévenir ; les phrases musicales tournent en rond ou se disposent côte à côte, privées de leurs connecteurs logiques. Tout est reconnaissable, mais à chaque instant nous sommes dépaysés.
Traiter une oeuvre contemporaine comme un commentaire sur l’histoire est un geste plutôt banal. Mais lorsque le passé commente à son tour le contemporain, tout devient alors diablement intéressant. Il semble que le temps se fissure, qu’il cesse d’être ce bourreau intraitable qui horrifiait Baudelaire, et qu’il nous offre enfin des interstices où nous glisser — et nous réinventer.